22/08/2025 journal-neo.su  7min #287999

 Sommet d'Anchorage : suivez la rencontre entre Vladimir Poutine et Donald Trump en Alaska

La fin du conflit en Ukraine est-elle en vue ? Le grand et beau sommet d'Alaska - Partie 1

 Ricardo Martins,

Rencontre Poutine - Trump en Alaska : que s'est-il vraiment passé ? Cette rencontre met en lumière les contradictions de la politique occidentale en Ukraine et révèle un basculement dans l'architecture de la sécurité mondiale.

Pour la première fois depuis le début du conflit en Ukraine, en février 2022, la perspective russe sur la guerre a été entendue directement par Donald Trump, qui l'a ensuite transmise aux dirigeants européens, y compris à Volodymyr Zelensky, d'abord par téléphone puis, trois jours plus tard, en personne à Washington.

Le décor - l'Alaska - rappelait que la Russie et les États-Unis sont littéralement voisins. En invitant Poutine sur le sol américain, malgré l'indignation européenne, Washington a signalé une volonté de mettre de côté les différends au nom de la diplomatie et du dialogue, même quand certains préfèrent l'éviter.

La nouveauté de ce sommet ne résidait pas seulement dans son lieu. Elle tenait surtout dans la disposition de Trump à écouter les arguments de Vladimir Poutine et à les relayer à des Européens sceptiques. Depuis deux ans, l'Europe a maintenu une politique d'isolement politique et diplomatique de Moscou, affirmant que la paix ne pourrait venir qu'avec la capitulation de la Russie, alors que, sur le champ de bataille, c'est bien Moscou qui conserve l'avantage.

La rencontre en Alaska a mis à nu les contradictions de la posture européenne : désirer la paix sans être disposé à la négocier, et imposer les conditions de la défaite à celui qui, militairement, est en position de force.

Les enjeux réels

Ce qui se jouait en Alaska dépassait largement le sort immédiat de l'Ukraine. Le sommet touchait à l'architecture de la sécurité mondiale, à la crédibilité de la diplomatie internationale et à l'équilibre des forces entre les États-Unis, la Russie et l'Europe.

Pour Poutine, il s'agissait de montrer que la Russie n'était pas un paria, mais un acteur incontournable de tout règlement européen. Pour Trump, c'était l'occasion de se poser en artisan de paix, en contraste avec la stratégie de Joe Biden, centrée sur un soutien sans faille à Kiev.

Un  sondage Gallup récent montre que 69 % des Ukrainiens sont favorables à un règlement négocié, tandis que seuls 24 % souhaitent la poursuite des combats.

Les dirigeants européens, eux, ont réagi avec méfiance. Beaucoup craignaient que Trump, dans son empressement à conclure un accord, n'accorde trop de concessions, entérinant les revendications russes au nom du pragmatisme.

Pour eux, l'Alaska risquait de devenir le lieu où l'unité occidentale se fissurerait. Mais ce scepticisme révélait une vérité dérangeante : l'Europe s'est elle-même acculée diplomatiquement. Réclamer la paix tout en refusant de parler à Poutine demeure, au fond, une contradiction.

Donner une chance à la paix

L'histoire rappelle que la paix ne se forge que rarement dans des cadres confortables ou avec des partenaires proches. Elle exige de parler avec ses adversaires.

L'Alaska a ravivé le souvenir du rendez-vous manqué d'Istanbul, en 2022, lorsque négociateurs russes et ukrainiens avaient paraphé un projet d'accord de paix, avant qu'il ne s'effondre sous la pression occidentale.

À cette époque, Boris Johnson s'était précipité à Kiev pour convaincre Zelensky de ne pas signer, arguant qu'un prolongement de la guerre affaiblirait irréversiblement la Russie. L'affaire de Boutcha fut probablement montée en scène, exploitée ou manipulée pour torpiller la diplomatie.

En Alaska, Poutine espérait que l'histoire ne se répéterait pas. Son message était clair : tout processus de paix saboté pour des gains politiques à court terme risque d'enraciner le conflit pour des années. L'Europe, affirmait-il, devra tôt ou tard revenir à la table des négociations. Et Kiev, bien que défiant, aurait besoin de garanties de sécurité, mais pas d'un flux infini d'armes occidentales.

À huis clos

Que s'est-il donc réellement discuté en Alaska ?
Poutine a présenté sa vision plus large : l'indivisibilité de la sécurité en Europe, principe que Moscou invoque depuis longtemps pour dénoncer l'expansion de l'OTAN, perçue comme une menace pour la stabilité russe et européenne. Il a reconnu que l'Ukraine avait besoin de garanties de sécurité crédibles, mais a exigé en retour la reconnaissance des intérêts russes.

Fait notable : Poutine a rejeté l'idée d'un cessez-le-feu. À ses yeux, un conflit gelé ne ferait que donner à l'Ukraine et à ses soutiens le temps de se réarmer. Il a préféré insister sur un véritable accord de paix, qui imposerait des choix difficiles dès maintenant plutôt que de les reporter à une étape ultérieure, potentiellement plus sanglante.

Trump, de son côté, a compris que les concessions territoriales exigées de l'Ukraine seraient sans doute moindres aujourd'hui que si la guerre s'éternisait encore un ou deux ans. Dans ce scénario prolongé, l'Ukraine perdrait presque certainement son accès à la mer, une catastrophe pour son économie.

Trump n'a pas promis de miracles. Mais il s'est engagé à transmettre les propositions de Poutine au président Volodymyr Zelensky et à explorer la possibilité d'élaborer un cadre d'accord. Ce faisant, il a renvoyé la responsabilité sur Kiev et ses alliés européens.

Puis, samedi, Trump a conclu sur sa  plateforme Truth Social :
« Il a été déterminé par tous que la meilleure façon de mettre fin à la guerre horrible entre la Russie et l'Ukraine est d'aller directement vers un accord de paix, qui mettrait fin à la guerre, et non vers un simple cessez-le-feu, qui souvent ne tient pas. »
Inutile de préciser que Zelensky et les Européens ont très mal accueilli cette déclaration.

La réaction européenne

Si Trump et Poutine sont sortis d'Alaska prudemment satisfaits, les dirigeants européens ont affiché un mélange de scepticisme, d'irritation et d'inquiétude. Emmanuel Macron a appelé à « de la clarté » et mis en garde contre tout arrangement qui « légitimerait l'agression par la force ». Friedrich Merz a insisté brièvement sur la priorité de l'Allemagne : « l'intégrité territoriale de l'Ukraine », autrement dit, aucun compromis sur les frontières.

Ursula von der Leyen, pour la Commission européenne, a martelé que « la paix ne peut se faire au détriment de la justice », reflétant la crainte de Bruxelles que le pragmatisme de Trump n'écarte les lignes rouges européennes.

En privé, de nombreux responsables européens redoutaient qu'Alaska ne marque le début d'une diplomatie parallèle, dans laquelle Washington et Moscou esquisseraient les contours de la paix sans consulter Kiev ni ses alliés les plus proches. Les pays d'Europe de l'Est, en particulier la Pologne et les États baltes, se sont braqués : ils craignent que l'ouverture de Trump aux arguments de Poutine n'encourage la Russie à exploiter son avantage militaire.

Mais cette réaction mettait aussi en évidence les contradictions européennes. Tout en qualifiant l'Alaska de prématuré, voire de dangereux, aucun dirigeant n'a proposé d'alternative crédible à la négociation. L'Europe répète qu'elle veut la paix, mais refuse toujours de s'asseoir en face de Poutine. Cette posture, tolérable au début du conflit, risque aujourd'hui de la rendre dépendante de la médiation américaine et vulnérable aux soubresauts de la politique de Washington.

La signification d'Alaska

Le sommet d'Alaska n'a pas été Yalta, ni Camp David, ni même Reykjavik. Aucun accord majeur n'a été signé, aucune carte redessinée. Mais son importance réside dans le simple fait qu'il ait eu lieu. Dans une guerre réduite à des communiqués militaires et à des récits concurrents, le dialogue est devenu une ressource rare.

Le chemin vers la paix n'est jamais linéaire. Il reste exposé aux « spoilers », internes et externes, qui voient un avantage à prolonger la guerre. L'Alaska a rappelé que la paix ne s'obtient pas en souhaitant la défaite de la Russie ou la survie héroïque de l'Ukraine, mais par la diplomatie, la patience et le compromis, des qualités absentes du climat géopolitique actuel.

Pour Trump, le sommet fut l'occasion de se poser en homme d'État. Pour Poutine, une chance de repositionner la Russie comme acteur indispensable. Pour l'Europe, un rappel douloureux : refuser de parler à Moscou n'a rapproché en rien de la paix, et a réduit son rôle géopolitique.

Malgré le scepticisme des Européens, qui ont minimisé l'événement comme une mise en scène, l'Alaska a marqué un tournant. Il a été suivi d'une rencontre à Washington entre Trump et Zelensky, à laquelle sept dirigeants européens se sont invités pour sauver la face. Ce sera l'objet du prochain article.

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

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